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Multi-sensoriel

Étrange Nature au Pavillon Blanc, Centre d'Art / Médiathèque de Colomiers 

On entre dans cette exposition comme à l'orée d'un bois au crépuscule, ce moment où les ombres s'animent d'une vie insoupçonnée. Des morceaux d'écorces aux formes anthropomorphiques, une grotte dotée d'une voix, une architecture colonisée d'une matière hybride... : l'exposition présente des créations à la croisée de deux mondes, à la fois cousins et opposés, l'art et la nature. Car s'ils sont tous deux créateurs de formes, l'un désigne un artefact humain et l'autre un monde originel. Leur rencontre et leur sang mêlés ne cessent de nous interpeller : existe-t-il une frontière qui les sépare ? Où commencent l'œuvre et l'artifice ? Entre conte originel, science et fiction, quelles histoires cette alchimie remue-t-elle ?

Nous essaierons de voir au travers de nos propositions de médiations quelles passerelles nous pourrons créer entre le monde des voyants et des déficients visuels. Quels sens pourront être convoqués pour suppléer à l'absence de vue.

Les dessins de Kate Atkin

Diplômée en photographie du Royal College of Art (Londres), l'œuvre de Kate Atkin est pourtant tournée vers le dessin. Son travail est le récit d'une métamorphose. Partant de repérages photographiques dont elle extrait des détails, elle réalise des esquisses en petit format qu'elle reproduit ensuite en grand. L'hyperréalisme des dessins agit comme un prisme sur les détails et les textures des matières d'origines, transformées également par les titres, énigmatiques et flottants, tels Study, Ghost (Esquisse, Fantôme). Starling (Moineau, 2012) est par exemple basé sur un motif de châtaigner à l'écorce torturée.

L'œuvre de Kate Akins pose la question de la transmission d'un dessin gigantesque. La description suffit-elle ? Quelle intermodalité peut-on utiliser pour permettre à un public déficient visuel d'éprouver cette œuvre ?

L'installation de Cécile Beau

Cécile Beau utilise une diversité de médias, du son au volume, reflets de son parcours artistique de l'école d'art de Tarbes au Fresnoy. Elle crée ici un environnement intitulé Géochronie. Une racine suspendue au plafond donne le ton d'un univers où elle agit sur la perte des repères, désignant d'emblée l'espace d'exposition comme appartenant à un monde souterrain.

Comment va t-on faire prendre conscience au spectateur de l'espace ?
Comment va t-on pouvoir activer son imaginaire, lui donner cette impression d'immersion dans l'œuvre, lui permettre de laisser monter des images ?

Les sculptures d'Emilie Benoist

Dans les sculptures Micro-mousse (2011) et Macro-monde, (2013), composées majoritairement de matériaux à base de pétrole - des billes de polystyrènes agglomérées et collées - l'artiste compose des univers lilliputiens par l'ajout de bribes d'éléments biologiques et de déchets qu'elle lie à des références : un dessin d'Escher, la maison d'enfance de Tarkovski dans Micro-mousse ; les romans Le monde englouti de JB Ballard et Dead cities de Mike Davies dans Macro-monde. Les œuvres de l'artiste convoquent les origines et les peurs de notre civilisation.

Comment une sculpture qui mêle des éléments naturels et artificiels peut-elle être appréhendée par le spectateur ? La sculpture appelle à tourner autour, se baisser, observer les détails, les plus grands. Constater l'écart entre une nature et son double artificiel. Quels sens va t-on utiliser ?

La vidéo d'Hicham Berrada

A la manière d'un chimiste, Hicham Berrada joue avec les protocoles scientifiques et les matériaux dans des installations qu'il vidéo-projette ensuite en grand, créant d'envoutantes chorégraphies de couleurs et de réactions chimiques. Dans ce jeu de mimétisme avec la science, la nature, le hasard et le temps deviennent les acteurs de performances où les formes apparaissent d'elles-mêmes. La vidéo Présage 02/10/2013 07h32 (2013) fait partie d'une série où il mélange des substances dans une éprouvette et attend que les choses se passent.

Dans cette vidéo, le spectateur assiste à un monde en train de se faire. Il s'agira de faire sentir au spectateur non-voyant la notion de temps qui passe mais aussi lui faire éprouver l'effet des précipitations que l'on a devant les yeux.

Ces dessins, sculptures ou vidéos ne peuvent guère provoquer d'expériences sensibles directement perceptibles par des déficients visuels. Dans ce cas, la médiation culturelle, par les outils imaginés, créés et expérimentés, par l'accompagnement physique et verbal qu'elle propose, peut-elle combler le vide qui sépare le visiteur aveugle ou mal-voyant des œuvres ?

Nous verrons à travers quelques exemples simples comment nous nous sommes approchés d'œuvres purement visuelles et intouchables en empruntant des chemins détournés, en éveillant les autres sens. Et comment les sens, dans leur complémentarité, permettent de (re)composer le monde et d'envisager les œuvres ?