Art contemporain et déficience visuelle
    • IJA
    • IJA
    • Avec le soutien de la DRAC de Midi-Pyrénées
  • #5
    L'espace public, Le monumental
    Problématiques 

    L'art dans l'espace public, l'œuvre monumentale

    Bien souvent monumentales, les œuvres situées dans l'espace public s'imposent au passant, l'invitant à devenir – parfois à son insu – spectateur.

    Comment le passant en situation de déficience visuelle peut-il devenir visiteur de ces œuvres alors même qu'il ignore leur existence, pour un peu qu'elles soient en marge de son parcours habituel ?
    Comment découvrir ces œuvres qui, dépassant l'échelle humaine, ne peuvent être touchées dans leur ensemble ?

    Nos réflexions se sont développées à travers l'exploration de deux oeuvres inscrites dans l'espace public de la ville de Toulouse :
    - Large standing figure de Thomas Houséago – installée le long de la ligne de tram, devant le théâtre Sorano
    - Sans titre (Les Mallandiers) de Patrick Corillon – créée pour la station de métro « François Verdier » (ligne B)

    Espace public, espace accessible ?

    L'art contemporain ne se trouve pas uniquement dans des structures institutionnelles « fermées » (musée, centre d'art, galerie...) où le visiteur doit faire la démarche (physique, pécuniaire, symbolique) de s'y rendre pour rentrer en contact avec les œuvres. De nombreuses œuvres sont installées dans l'espace public, parfois pensées pour le site : rue, place, rond-point, métro, esplanade… et modifient nos habitudes de visite comme de réception.

    Ainsi placées dans des espaces ouverts et a priori pensées pour être accessibles à « tous » (gratuité, visibilité imposée, pas de frontière institutionnelle symbolique …) ces œuvres s'inscrivent dans l'architecture, le paysage et orientent notre regard sur l'environnement quotidien, tendant ainsi à le modifier. Trouble de l'évidence, émerveillement du familier, ces œuvres prennent ces nouveaux visages, et, de manière infime ou spectaculaire, pointent les habitudes de chacun.
    Ont-elles la même résonance pour une personne voyante que pour une personne déficiente visuelle ?

    Imposant ou infiniment discret, l'art dans l'espace public est, dans tous les cas, « seul ». Aucun passeur, guide, médiateur, n'est présent pour faire une visite. C'est à chacun d'aller à sa rencontre et de s'inventer son histoire. Cela, à n'importe quel moment de la journée (selon les contextes) et de l'année (ce sont souvent des œuvres pérennes).

    Se pose la question de l'évidence de ces œuvres : à qui s'adressent-elles ?
    Quels modes de réception induisent-elles ? Quelles en sont les limites ?
    Comment une personne déficiente peut-elle appréhender une œuvre non signalée, « perdue » dans son environnement, dans cette immersion spatiale ?
    Est-elle un obstacle (perturbant la fluidité du déplacement) ou un atout (un repère dans son parcours, une autre perception de son environnement familier) ?


    Œuvre en extérieur, œuvre monumentale ?

    Pour des questions à la fois de conservation (météo, dégradations, sécurité, pérennité) et de visibilité (inscription dans l'urbanisme, le paysage, perception de loin …) l'art dans l'espace public est souvent pensé grand, voire monumental. Les œuvres dépassent largement l'échelle humaine.

    Comment découvrir une œuvre que l'on ne peut toucher dans sa totalité ?
    Comment en construire une représentation mentale ?
    Doit-on essayer de se représenter la partie non perceptible ou faut-il se contenter de ce que l'on perçoit, privilégiant le rapport à la matière ?
    D'autres approches que le fac-similé sont-elles possibles ?

    Autant de questions qui sont intrinsèquement liées au champ de l'esthétique comme à celui de la déficience visuelle.

    Le déficient visuel face à l'œuvre monumentale 

    La personne déficiente visuelle se cognera peut-être à l'œuvre d'art, qui alors ne sera guère qu'un obstacle parmi d'autres, à contourner, à éviter. Ou alors elle en apercevra une bribe, s'interrogera, la touchera, souhaitera y revenir accompagnée, un jour où elle aura le temps. Elle pourra également, dans le cadre de visites médiatisées, y être conduite, et l'explorer.

    L'œuvre monumentale est difficile à aborder dès lors qu'il y a privation de la vue. On ne peut guère la toucher que de façon partielle. Il pourra donc être nécessaire, si c'est le propos choisi par le médiateur, d'utiliser d'autres supports pour que la personne non voyante ou très malvoyante puisse aborder l'ensemble de l'œuvre. Diverses pistes sont possibles, parmi lesquelles le fac-similé ou les maquettes.

    Les œuvres ne seront pas abordées de la même façon si elles font appel à un patrimoine d'images mentales ou non : une œuvre de forme connue (type corps humain ou réplique en grand d'un objet usuel) ne nécessitera pas forcément l'usage d'un fac-similé, la personne non-voyante en a déjà des représentations, des maquettes pourront suffire. Pour une œuvre de forme inconnue il en sera autrement, il pourra être utile de lui montrer une reproduction en petit format de l'œuvre, si elle souhaite se faire une idée de sa forme.

    Le fac-similé

    C'est la réplique en petit format de l'œuvre, avec comme question centrale celle de l'échelle. La personne déficiente visuelle devra imaginer cet écart entre l'objet qu'elle manipule et l'œuvre réelle, essayer de se faire une représentation du même objet à une toute autre échelle, celle qui outrepasse l'espace brachial (ce que les bras peuvent embrasser). 

    Le fac-similé devra aussi respecter les matériaux utilisés, être le plus fidèle possible au modèle, en sachant que lorsque l'échelle change à ce point, l'effet obtenu sera très différent : toucher du bronze sur 30 cm de hauteur ne procure par la même sensation qu'en toucher sur 3 mètres. Sans compter qu'aucun détail ne peut être présent, alors que lors de l'approche tactile d'une partie de l'oeuvre monumentale, les détails sautent aux doigts.

    Le fac-similé, aussi proche de l'œuvre soit-il, nécessitera malgré tout une transposition dans tous les domaines.

    La maquette

    C'est un autre support possible. il s'agit d'un ou de plusieurs objets à toucher également, qui entretiennent avec l'œuvre un rapport de proximité mais qui n'en sont pas la duplique en petit format.

    Une œuvre représentant un corps d'animal pourra être abordée avec une maquette du même animal, c'est à dire une réplique uniquement en terme de forme, et encore, de façon approximative, dans les "grandes lignes", sans souci de détails. La plupart des maquettes ont comme fonction de permettre à la personne déficiente visuelle de construire une image mentale de la forme de l'objet réel (maquette de maison, de corps humain, de bateau, de montagne, etc). La maquette peut également avoir comme fonction celle de convoquer les représentations mentales déjà construites par la personne déficiente visuelle. Les matériaux ne seront pas forcément les mêmes que ceux de l'objet réel (les maquettes de maison ne sont pas forcément en bois ou en briques, celles de volcans ne sont pas fabriqués avec de la lave !) mais y fera penser.

    Accompagner la maquette de matériaux à toucher sera peut-être nécessaire (une brique réelle pour la maison, de la fourrure pour l'animal, la matière utilisée par l'artiste, etc). La personne non-voyante aura alors à charge de tisser ensemble ces diverses expériences tactiles.